Energiris : d’un modèle hybride vers une RESCOOP pour une nouvelle coopération énergétique

À l’occasion de notre Assemblée Générale 2025, nous avons pris un temps pour expliquer l’évolution du modèle coopératif d’Energiris, en le replaçant dans un contexte plus large : celui des différentes formes que peut prendre une coopérative citoyenne dans le secteur de l’énergie. Cette présentation a permis d’ouvrir le dialogue avec nos coopérateurs sur la manière dont nous structurons nos actions, nos investissements, et notre gouvernance pour toujours mieux servir notre mission.
Afin de poursuivre cette réflexion avec l’ensemble de notre communauté et au-delà, nous vous proposons ici un article explicatif : il présente les grandes différences entre les modèles dits RESCOOP et FINCOOP, deux formes de coopératives actives dans la transition énergétique. Et surtout, il détaille la position actuelle d’Energiris, ainsi que le chemin que nous avons décidé d’emprunter pour aligner davantage notre fonctionnement avec les valeurs d’une coopérative de production pleinement citoyenne.
I. Introduction
Energiris, coopérative citoyenne engagée dans la transition énergétique, évolue vers un modèle plus autonome et démocratique. Historiquement, elle reposait sur un financement indirect via des prêts subordonnés, mais contrairement aux FINCOOPS classiques, elle joue un rôle actif dans le contrôle et la sélection des projets à travers sa filiale commune (SPV), codétenue avec deux partenaires techniques. Aujourd’hui, Energiris amorce une transformation stratégique visant à renforcer son indépendance et aligner pleinement ses actions sur le modèle RESCOOP.
Cet article a pour objectif de clarifier les différences essentielles entre les deux types de coopératives citoyennes dans le domaine des énergies renouvelables :
- Les FINCOOPS, qui permettent aux citoyens de financer des unités de production d’énergie en échange de parts, sans en détenir directement la propriété.
- Les RESCOOPS, qui offrent aux citoyens la possibilité de devenir directement propriétaires d’une source de production d’énergie, comme une éolienne ou une installation photovoltaïque, en échange de parts coopératives.
Enfin, cet article analysera la position d’Energiris dans ce modèle dual et expliquera l’évolution stratégique qu’elle a initiée pour renforcer son autonomie et son rôle dans la transition énergétique.
II. RESCOOP vs FINCOOP : Deux modèles coopératifs au service de l’énergie
A. Introduction
Les coopératives dans le secteur des énergies renouvelables se positionnent comme des alternatives aux grandes entreprises énergétiques classiques. Elles permettent aux citoyens de prendre part à la production d’énergie verte et de bénéficier des retombées économiques de ces projets.
Deux types de coopératives émergent dans ce paysage : les RESCOOPS, qui offrent une implication directe des citoyens dans la production énergétique, et les FINCOOPS, qui s’appuient sur un financement indirect, souvent via des prêts à des sociétés commerciales. Ces deux modèles ont des implications économiques, sociales et environnementales distinctes, qui méritent d’être analysées en profondeur.
B. Les RESCOOPS : Coopératives de production et d’autonomie énergétique
1. Définition et philosophie
Les RESCOOPS (Renewable Energy Source Cooperatives) sont des coopératives citoyennes qui investissent directement dans les infrastructures de production d’énergies renouvelables. Elles sont fondées sur des principes de gouvernance démocratique, de participation collective et de transparence.
L’objectif d’une RESCOOP est que les citoyens contrôlent eux-mêmes la production énergétique, au lieu de déléguer cette responsabilité à des sociétés privées. En conséquence, les membres d’une RESCOOP prennent des décisions de manière égalitaire et bénéficient directement des impacts environnementaux et économiques des projets qu’ils financent.
2. Principales caractéristiques
- Fondateurs : Les RESCOOPS sont créées et dirigées par des citoyens. Ce sont des personnes physiques qui souhaitent investir dans la transition énergétique et garantir une indépendance face aux grands groupes industriels.
- Objectif principal : L’investissement direct dans des projets tels que des parcs éoliens, des fermes solaires, ou des barrages hydroélectriques. La coopérative possède et exploite directement ces infrastructures.
- Mode de gouvernance :
- Principe démocratique : Chaque membre dispose d’une voix égale, peu importe son niveau d’investissement financier.
- Implication forte des citoyens : Ils élisent le conseil d’administration et participent activement aux décisions stratégiques.
- Répartition des bénéfices :
- Les dividendes sont plafonnés à 6 %, conformément aux principes coopératifs et aux réglementations en vigueur.
- Une partie des bénéfices est réinvestie dans des projets communautaires ou dans de nouvelles infrastructures.
- Autonomie et transparence :
- Les RESCOOPS ne sont pas dépendantes d’une entreprise commerciale externe.
- La majorité des décisions est prise par les coopérateurs eux-mêmes, ce qui assure une transparence totale et limite les risques de dérive financière.
- Impact social et environnemental :
- Les RESCOOPS encouragent la sensibilisation des citoyens à la transition énergétique.
- Elles participent à l’éducation et à la formation, permettant aux membres de mieux comprendre les enjeux énergétiques et d’adopter des pratiques plus durables.
3. Exemple concret
Une coopérative RESCOOP typique, comme Ecopower en Flandre ou Emissions zéro en Wallonie, possède et exploite des éoliennes et des panneaux solaires. Les citoyens membres de la coopérative financent ces installations et consomment ensuite directement ou via une filiale commune aux différentes coopérative RESCOOP l’électricité produite, garantissant un modèle transparent et sans intermédiaire commercial.
C. Les FINCOOPS : Coopératives financières et modèle hybride
1. Définition et fonctionnement
Les FINCOOPS (Financial Cooperatives) sont des coopératives qui investissent indirectement dans les énergies renouvelables. Plutôt que de posséder elles-mêmes des installations énergétiques, elles financent des entreprises privées via des prêts subordonnés.
L’idée derrière les FINCOOPS est de faciliter le financement de projets énergétiques renouvelables, en permettant aux citoyens d’investir via une coopérative. Cependant, contrairement aux RESCOOPS, les citoyens ne détiennent pas directement les infrastructures énergétiques, ce qui soulève des interrogations sur l’autonomie et la gouvernance de ces structures.
2. Principales caractéristiques
- Fondateurs : Contrairement aux RESCOOPS, les FINCOOPS sont créées et contrôlées par des entreprises, souvent sous forme de sociétés anonymes (SA) et de leurs représentants.
- Objectif principal : Financer les énergies renouvelables sans prise de contrôle directe sur les infrastructures. L’investissement se fait via un prêt subordonné à une entreprise privée (SPV créé pour l’occasion ou directement l’entreprise à l’initiative du projet) qui développe les projets énergétiques.
- Mode de gouvernance :
- Pouvoir limité des coopérateurs : Contrairement aux RESCOOPS, les citoyens n’ont qu’un rôle minoritaire dans la prise de décision.
- Existence de plusieurs catégories d’actions : Les actionnaires fondateurs conservent le contrôle majoritaire sur la gestion des projets.
- Répartition des bénéfices :
- Généralement limité au sein de la coopérative (maximum 6% si la coopérative se fait agréé), mais dividende illimité dans la SA mère.
- Effet de levier permettant aux actionnaires de maximiser leur rendement, au détriment de l’autonomie coopérative.
- Dépendance et manque d’autonomie :
- Les décisions majeures sont prises par la SA, et non par les coopérateurs.
- La transparence est souvent critiquée : les citoyens ne savent pas toujours comment leurs investissements sont utilisés.
- Critiques et limites :
- Risque de dérive capitaliste : Certaines FINCOOPS sont accusées d’utiliser le modèle coopératif comme un levier financier, au profit des actionnaires privés.
- Manque d’implication citoyenne : Le contrôle sur les projets énergétiques reste largement aux mains des entreprises.
3. Exemple concret
Une FINCOOP typique, comme Electrabel COGreen, collecte des fonds auprès de citoyens et les investit dans des infrastructures énergétiques via une SA. Cependant, ces infrastructures ne sont pas directement détenues par les coopérateurs, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas influencer directement les décisions stratégiques du projet.
D. Comparaison approfondie entre RESCOOP et FINCOOP
Critères | RESCOOP | FINCOOP |
Fondateurs | Citoyens engagés | Principalement des entreprises |
Objectif | Investissement direct | Prêt subordonné à une SA |
Gouvernance | 1 membre = 1 vote | Décision contrôlée par la SA |
Dividende | Plafonné à 6 % | Plafonné dans la coopérative, mais illimité dans la SA |
Autonomie | Indépendance complète | Forte dépendance à une société commerciale (SA…) |
Transparence | Gouvernance démocratique | Critiques sur le manque de transparence |
Impact citoyen | Forte implication | Faible influence des citoyens |
E. Conclusion
Les RESCOOPS et FINCOOPS poursuivent un même objectif : promouvoir les énergies renouvelables. Pourtant, leur approche diffère radicalement. Les RESCOOPS garantissent une gouvernance démocratique et citoyenne, offrant un contrôle direct sur les infrastructures. Les FINCOOPS, en revanche, sont des structures financières dépendantes des entreprises, limitant la transparence et l’autonomie des coopérateurs.
👉 La question essentielle est désormais la suivante : où se positionne Energiris ?
III. Energiris : Une coopérative hybride en transition vers un modèle RESCOOP
A. Introduction
Energiris est une coopérative citoyenne engagée dans la transition énergétique. Son modèle s’est historiquement inspiré des FINCOOPS, avec un financement indirect via des prêts subordonnés. Cependant, contrairement aux FINCOOPS classiques qui se contentent de financer des entreprises sans contrôle, Energiris dispose d’une filiale commune (SPV), codétenue avec deux partenaires techniques et regroupant la majorité de ses investissements. Au sein de cette filiale, Energiris participe au contrôle et du choix de financement de ses projets.
Energiris amorce une transformation stratégique vers une plus grande autonomie, lui permettant de prendre en charge directement ses infrastructures énergétiques. Cette évolution vise à renforcer son autonomie et sa pérennité, assurer une gouvernance plus transparente et placer les citoyens au cœur des décisions. Et ainsi à s’aligner davantage sur le modèle des RESCOOPS.
B. Un modèle hybride entre FINCOOP et RESCOOP
Depuis sa création, Energiris fonctionne comme une coopérative financière atypique. Plutôt que de financer des entreprises externes sans influence sur leur gestion, elle agit via un SPV, qu’elle détient à parts égales avec ses partenaires techniques.
Pourquoi Energiris est un FINCOOP hybride ?
🔹 Elle finance principalement ses projets via une filiale, sans posséder directement les infrastructures.
🔹 Elle participe aux décisions du SPV, qui ne peut lancer un projet sans son accord pour l’apport de financement.
🔹 Elle doit tenir compte des exigences de ses partenaires, notamment sur la taille minimale des installations et le niveau de rentabilité recherché.
💡 Ce fonctionnement la place entre FINCOOP et RESCOOP, avec une implication citoyenne forte, mais encore une gestion partagée.
C. Vers un modèle RESCOOP renforcé
Energiris adapte son modèle économique pour assurer une indépendance progressive. Si la filiale reste un outil financier stratégique et pertinent, la coopérative développe également des financements alternatifs, permettant aux citoyens d’être au cœur du développement des nouvelles infrastructures. Cette évolution permet d’adapter son modèle de financement et de gestion de projet, afin de favoriser les infrastructures énergétiques qui ne pourraient pas se concrétiser sans l’aide citoyenne, même lorsque ces projets ne répondent pas aux contraintes inhérentes à la filiale.
Un usage plus sélectif du SPV
Jusqu’ici, tous les projets passaient principalement par des SPV, avec des décisions partagées entre Energiris et ses partenaires techniques. Désormais, Energiris adoptera une approche plus flexible, où certains projets seront développés directement au sein de la coopérative, sans passer par une filiale codétenue avec un ou des partenaires privés (installateurs, coopératives, communes…), lorsque :
- Ils ne correspondent pas aux contraintes imposées par les partenaires techniques de la filiale.
- Ils nécessitent une implication citoyenne plus forte, pour garantir leur viabilité.
- Ils s’alignent pleinement sur les valeurs et la finalité coopérative d’Energiris.
Une évolution en phase avec les valeurs fondatrices
Cette stratégie répond à la finalité coopérative d’Energiris, qui vise à :
- Accélérer la transition énergétique en soutenant des infrastructures renouvelables adaptées aux réalités locales.
- Impliquer directement les citoyens et organisations locales dans un modèle démocratique et participatif.
- Assurer un retour sur investissement en circuit court, bénéficiant à la coopérative et aux citoyens plutôt qu’à des acteurs privés.
💡 En combinant cette approche hybride, Energiris s’affirme vers le modèle RESCOOP, capable de développer des projets en toute autonomie, tout en préservant des collaborations stratégiques via une filiale ou structure ad hoc lorsque cela est nécessaire.
Une gouvernance hybride et stabilisatrice
De plus, Energiris a mis en place une structure de gouvernance unique, qui combine stabilité et évolution pour le futur tout en préservant son identité coopérative.
Si tous les membres conservent un droit de vote égal (« 1 membre = 1 voix »), la nécessité d’une double majorité, au sein de la catégorie des coopérateurs garants et des coopérateurs ordinaires, sur les décisions stratégiques permet d’assurer la cohérence du projet à long terme et d’éviter des dérives opportunistes qui pourraient fragiliser son orientation coopérative.
La catégorie des coopérateurs garants, ouverte à tous les coopérateurs ayant acquis une certaine ancienneté, joue un rôle clef dans la préservation des valeurs et principes fondateurs et dans la stabilité démocratique de la gouvernance.
Cette structuration offre plusieurs avantages :
- Une résilience coopérative, évitant une évolution vers un modèle uniquement opportuniste d’investisseurs à court terme privilégiant le rendement financier au détriment de l’impact sociétal et environnemental. Protégeant ainsi l’identité de coopérative citoyenne.
- Une implication durable des coopérateurs, incitant à l’engagement long terme et valorisant l’expérience.
- Une démocratie participative renforcée, où chaque décision prend en compte à la fois la voix des nouveaux membres et l’expertise des coopérateurs les plus engagés.
💡 Ce système assure une gouvernance stable, tout en ouvrant la voie à une transformation vers une RESCOOP pleinement autonome.
D. Défis et opportunités
Pour réussir cette transition, Energiris devra relever plusieurs défis :
⚠ Développer des offres commerciales adaptées, pour soutenir l’investissement direct. Ce point est déjà préparé depuis de nombreux mois par le conseil d’administration et aboutit à une nouvelle offre commerciale globale : Energiris financera, exploitera et maintiendra l’installation de production d’énergie durable.
⚠ Renforcer les compétences internes, nécessaires à la gestion des infrastructures.
Le CA est constitué de coopérateurs avec une formation technique et de gestion de projets déjà éprouvés dans leurs vies professionnelles et qui pourront être mis à profit. De plus il veille à se faire accompagner par des professionnels pour standardiser ses conventions, par des installateurs fiables qui pourront l’épauler pour assurer la maintenance et l’opérationnalité des installations, ou encore massifier la prospection…
⚠ Établir de nouveaux partenariats avec le réseau REScoop, pour accélérer la transformation. A ce titre, le CA a entrepris des prises de contacts avec plusieurs autres coopératives actives dans la transition énergétique et adoptant le modèle REScoop en vue d’échanger sur les bonnes pratiques et de dégager d’éventuelles collaborations ou de co-financement d’installations en photovoltaïques ou d’autres énergies durables.
E. Conclusion
Energiris est aujourd’hui dans une phase de transformation stratégique, qui pourrait redéfinir son modèle coopératif. Historiquement proche d’une FINCOOP hybride, elle se dirige vers une RESCOOP, combinant une gouvernance citoyenne solide et un contrôle accru sur les infrastructures énergétiques.
🔹 Les prochains mois seront essentiels pour structurer cette évolution, assurer une transition réussie et positionner Energiris comme un modèle coopératif innovant et durable.